Un certain 10 juillet 1559

On a tout essayé pour sauver Henri II du trépas. Jusqu’à décapiter quatre prisonniers du Châtelet pour reproduire sa blessure à la tête et l’étudier. En vain. Le 10 juillet 1559, après dix jours d’atroces souffrances, le fils de François Ier, époux de Catherine de Médicis, abandonne le royaume des vivants pour celui des morts parce qu’il s’est pris pour un jeune homme de 20 ans. Mais pourquoi diable a-t-il voulu, à 40 ans, affronter en tournoi la fine fleur de son royaume ? Un jour, il faut savoir raccrocher. N’est pas Jeannie Longo qui veut.
Cette mort absurde plonge le royaume dans la panade. Les Guise et autres Bourbons profitent de la vacance du pouvoir pour entraîner le pays dans les effroyables guerres de religion. Si Henri II avait encore vécu vingt ans, la Saint-Barthélémy aurait-elle eu lieu ? Henri de Navarre serait-il devenu roi de France, et, après lui, tous ses descendants ? Et sans Henri IV, pas de Roi-Soleil ! Pas de Louis XVI ! Pas de Révolution, peut-être ! Bref, le destin de la France en eût été changé. C’est même à se demander si Hollande serait devenu président...
Match nul
Revenons sur les faits. Le 28 juin 1559, Henri II organise un double mariage : celui de sa fille avec Philippe II, roi d’Espagne (par procuration), et celui de sa sœur avec le duc de Savoie. Pour fêter l’événement fastueusement, il organise un tournoi devant son palais des Tournelles, rue Saint-Antoine. Les réjouissances sont énormes. La foule est en liesse. C’est Albert épousant Charlene.
Le 30 juin, le souverain, qui est un colosse de 1,84 mètre, en a juste marre de rester le cul assis sur son trône et d’assister aux exploits de ses jeunes seigneurs. Il exige de participer au tournoi. Il veut faire le beau devant sa belle maîtresse, Diane de Poitiers, de vingt ans son aînée ! Pour une fois qu’un roi de France se choisit une couguar... Henri se prépare donc à affronter trois adversaires comme il est de mise. Il enfile une lourde armure, enfourche son fier destrier, empoigne sa lance, salue la foule, sa dame. Comme d’habitude, il néglige la reine, Catherine de Médicis. Puis il se dirige vers l’extrémité de la lice. Les trompettes sonnent la charge.
Henri II pique des deux, lève sa lance et désarçonne son premier adversaire. Victoire ! Un hurlement de joie s’élève de la foule ! Le voilà encouragé. Henri gagne son deuxième combat. Il est aux anges. Le troisième l’oppose au jeune capitaine de sa garde écossaise, le seigneur de Lorges, Gabriel de Montgomery. Les deux cavaliers s’élancent de part et d’autre de la barrière, leurs lances se brisent. Match nul. Normalement, le tournoi est fini pour le roi. Le maréchal de Vieilleville, son écuyer, s’apprête à prendre sa place. Mais cet orgueilleux d’Henri ne se satisfait pas d’un match nul. Il exige d’affronter une nouvelle fois Montgomery. Il veut sa revanche, disant qu’il « l’avait fait branler et quasi quitter les étriers ».
Cri de désespoir
Catherine de Médicis, Diane de Poitiers, ses écuyers, les grands seigneurs, tous tentent de le dissuader. Rien n’y fait, il veut sa revanche. Il saute sur son destrier, nommé Malheureux, pour rejoindre l’extrémité de la lice, invitant Montgomery à en faire autant. Comment ne pas obéir à un ordre royal ? Les deux cavaliers s’élancent. Le choc est terrible. La lance de Montgomery se brise sur la cuirasse du roi. Un éclat s’introduit sous la visière de son casque et se plante au-dessus de l’oeil droit. Sous la violence du coup, le corps du roi vacille. La foule pousse un cri de désespoir.
On se précipite vers le blessé qui glisse à terre. On lui enlève son casque avec moult précautions, un flot de sang s’écoule sur le sol. Par miracle, Henri II n’est pas mort, il a simplement perdu connaissance. On l’asperge d’eau et de vinaigre. Selon certains témoins, il reprend connaissance quelques minutes pour pardonner à son adversaire et demander ses médecins et chirurgiens. Comme personne ne pense à appeler le Samu, le duc de Guise, le connétable de Montmorency, M. de Sancerre, le cardinal de Lorraine, Condé et Martigues empoignent chacun un membre du blessé pour le transporter dans sa chambre du palais des Tournelles.
Une fois qu’il est allongé, ses médecins et chirurgiens l’entourent, manifestant leur parfaite incompétence. Ils commencent par laisser les barbiers retirer les principales échardes fichées dans la partie gauche de son visage. Comme le souverain a le mauvais goût de se tordre de douleur, ils s’interrompent avant d’en avoir terminé. Jean Chapelain, le premier médecin du roi, ordonne alors la panacée de cette époque : la saignée. Peu importe que le blessé ait déjà perdu beaucoup de sang. Et comme il n’est pas suffisamment faible, pour combattre sa fièvre, les apothicaires lui font absorber un puissant émétique composé de rhubarbe et de momie (mélange de bitume et de poix). Le malheureux réagit en se vidant par les deux extrémités.

« Esbranlement du cerveau »
On a dit qu’Ambroise Paré, chirurgien ordinaire du roi, est appelé au chevet du blessé. C’est logique, néanmoins la description de la blessure du roi qu’il laisse dans son journal ne permet pas de juger s’il est réellement présent. Il écrit : « ... un esclat du contrecoup luy donna au-dessus du sourcil dextre et lui dilacéra le cuir musculeux du front près l’os, transversalement jusques au petit coin de l’oeil senestre, et avec ce plusieurs petits fragmens ou esquilles de l’esclat demeurèrent en la substance dudit oeil sans faire aucune fracture aux os. Donc, à cause de telle commotion ou esbranlement du cerveau, il décéda l’onzième jour qu’il fut frappé. »
Avant de sonder la plaie avec leurs instruments, les chirurgiens ont besoin de connaître sa forme et sa direction. Leur appareil d’IRM étant tombé en panne, ils décident d’organiser une reconstitution avec de vraies têtes fraîchement coupées. Rien de plus facile à cette époque, il suffit de demander. Aussitôt, quatre détenus de la prison du Châtelet sont décapités, sans que maître Vergès, appelé en urgence, puisse rien faire pour eux. Des éclats de bois sont fichés de force dans les quatre têtes qui sont, ensuite, sciées en deux. Mais la méthode est trop rustique pour apprendre quoi que ce soit aux chirurgiens.
Reliques
Le quatrième jour après la blessure, la température du blessé connaît un répit. Henri II reprend connaissance. Juste le temps de demander à Catherinette de Médicis de hâter la signature du mariage de sa soeur et de signer un brevet de maréchal de France pour Vieilleville. Trouve-t-il le temps de dire adieu à sa maîtresse, Diane ? On ne le sait pas. En tout cas, le roi retombe vite dans le coma. Reçoit-il la visite du grand anatomiste Vésale, médecin de Philippe II ? On le prétend, mais lui ne l’écrit nulle part dans ses Mémoires. À partir du 5 juillet, le roi se met à délirer. Son état ne fait qu’empirer. Le 9, en désespoir de cause, il ne reste qu’à faire appel à la clémence de Dieu. Des processions sont organisées dans Paris. Toutes les saintes reliques rassemblées depuis Saint Louis sont exposées au peuple. Sans effet. Les corps de saint Marcel et de sainte Geneviève sont promenés dans les rues de la capitale. Dieu y reste sourd. Bref, le 10 juillet, vers 15 heures, Henri II meurt après un dernier spasme horrible. Cela lui apprendra à ne pas prendre au sérieux ce quatrain de Nostradamus :

« Le lion jeune le vieux surmontera
En champ bellique par singulier duelle,
Dans cage d’or les yeux lui crèvera,
Deux classes une puis mourir mort cruelle. »
Pour cette histoire, nous avons pioché dans la merveilleuse réédition des Morts mystérieuses de l’histoire, du docteur Cabanès, par les éditions de l’Opportun.

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